Depuis des années, la crise de la presse touche tous les pays du monde. Mais au Liban, elle revêt un autre visage. Paroles de journalistes, en direct de Beyrouth.
Lorsqu’une entreprise connaît une crise, elle a plusieurs solutions : du plan d’économie au plan de licenciement. Dans la presse comme ailleurs. Au Liban, un pays qui n’est pas épargné par la crise des médias et par la raréfaction des actionnaires, les journaux et quelques autres médias audiovisuels ont trouvé une autre solution : ils ne paient plus leurs salariés, et notamment les journalistes… dont un grand nombre pourtant continuent à travailler. Depuis plus de 14 mois (!), deux grands quotidiens libanais notamment – An Nahar et Al Moustaqbal – ont recours à cette solution, au mépris du droit international. Une mission de la FIJ était organisée à Beyrouth du 14 au 18 janvier dernier. Ce fut l’occasion de rencontrer, d’écouter et de soutenir ces collègues.
« Un massacre »
« On paiera tous les arriérés de salaire le plus vite possible » promettent les directions, sans donner plus de garantie avec un calendrier clair et acceptable pour des familles qui doivent désormais trouver d’autres recours pour faire face à leur vie quotidienne. Les journalistes, que nous avons rencontrés à Beyrouth, gardent aujourd’hui une dignité dans le verbe et dans l’action et parlent pour quelques-uns d’entre eux à visage découvert. « Vous comprenez, on a attendu, on a fait confiance parce qu’on pensait que cela pouvait s’arranger, mais on se rend bien compte qu’on perd notre temps« , confie l’un d’eux, qui ne sait plus vraiment quel vent suivre.
« J’ai connu le grand-père, le fondateur du journal, puis le père et aujourd’hui la fille et je suis viscéralement attaché à ce titre, le plus grand quotidien libanais. Il est à l’origine de tellement d’avancées pour la démocratie de mon pays« , dit un autre. « Mais il faut bien admettre que nous assistons à un massacre, et je pèse mes mots, poursuit un troisième, rencontré le 16 janvier. Aujourd’hui, j’ai perdu confiance et nous avons maintenant besoin d’un syndicat fort, qui nous représente tous, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Je suis heureux que la FIJ soit au Liban pour rappeler le cadre international. Nous devons être payés pour notre travail. Ce n’est tout de même pas scandaleux ? »
« L’action de la FIJ est absolument nécessaire pour les journalistes du Liban, déclare une dernière. Vous avez rencontré une des grandes patronnes de la presse libanaise, des politiques et cela nous servira, j’en suis certaine. Soyons solidaires. »
« Les promesses… »
En l’absence de dialogue social réel depuis 14 mois (!) – affirmation que la direction du An Nahar rencontrée le 17 janvier nie en bloc – les journalistes sont aujourd’hui dans une sorte de purgatoire, sans issue de secours : ils ne sont ni licenciés, ni salariés et usent du système D. Ils cherchent et trouvent parfois un autre boulot. En attendant mieux. Ils restent malgré tout optimistes et espèrent faire mentir le vieil adage de Machiavel : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient« .
A.B.